Dimanche, élection législative

D’après une analyse dans le Tagesspiegel de ce jour, qui confirme une analyse comparable réalisée par le magazine der Spiegel il y a un mois, la faiblesse de la CSU en Bavière pourrait conduire à… l’explosion des effectifs au Bundestag jusqu’à… 900 députés.
Explication:
Les allemands votent sur deux collèges de députés. La moitié des sièges sont élus en circonscriptions où le premier arrivé gagne. L’autre moitié des sièges est accordé selon le score des partis à la proportionnelle en incluant les sièges gagnés en circonscription.
Si il y a 50 sièges en circonscription, 50 sièges en proportionnelle, et qu’un parti gagne 30 circonscriptions et fait 30%, aucun siège n’est accordé par le score proportionnel. Le parti a 30% du total des sièges.

Voilà pour la théorie, qui fonctionnait très bien avec deux grands partis faisant des scores proportionnels au delà de 35% et qui emportaient la plupart des circonscriptions.

Mais voilà : la weimarisation du Bundestag, c’est à dire son émiettement, la présence d’une forte extrême droite, et la fin des deux blocs gauche et droite entraînent un dérèglement de ce système.
Pour reprendre l’exemple théorique : à l’heure actuelle, du fait des faiblesses du SPD, prévu à 25% sur le vote proportionnel, de la CDU, environ 20% et surtout de la CSU bavaroise, qui serait en Bavière à moins de 30%, on peut se retrouver avec un vote en circonscription où un parti arrive bien partout en tête, mais avec un score proportionnel très inférieur.
Si un parti remporte 50 circonscriptions en arrivant en tête avec à chaque fois 30%, ce qui suffit avec l’émiettement actuel pour être en tête, il a 20 sièges de plus que ce que son score proportionnel lui accorde.
La méthode pour rééquilibrer la composition du Bundestag s’appelle le „mandat compensatoire“ – les partis ayant réalisé plus de 5% vont recevoir des mandats en plus pour que les 50 élus par le vote direct représentent seulement 30% de la future assemblée. C’est à dire, alors qu’on avait 100 sièges en théorie, on se retrouve à 165 sièges avec 65 sièges „compensatoires“.
C’est très exactement ce qui pourrait se produire en Bavière.
Ah, parce que j’oubliais, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué: le calcul est réalisé d’abord dans chacune des 16 régions, puis lissé au national.
D’après der Spiegel, il y a un mois, on pourrait ainsi, pour une composition théorique à 598 sièges, avoir 980 députés. La mandature 2017 en comptait déjà plus de 100 „compensatoires“ en plus.
D’après le quotidien berlinois Tagesspiegel, ce serait définitivement plus de 900 députés.

Cette loi n’est pas seulement compliquée et stupide, elle est aussi inconstitutionnelle. Le conseil constitutionnel allemand avait déjà enjoint au Bundestag de changer la loi. La CDU-CSU, grande gagnante du système, a refuser une réforme fondamentale et seulement accepter une réforme cosmétique, qui, on le voit, ne règle pas ce problème.

Mais l’enjeu n’est pas tellement le mode de scrutin. Bien sûr on peut ridiculiser la proportionnelle par à-priori idéologique, préférant la représentativité des parlements hongrois ou turcs, où avec 45% des voix on a 55% des sièges, ou encore, le pire en la matière, français, où 35% de voix signifie plus de 60% des sièges. La législative à la française, surtout depuis le changement de calendrier, est la plus grosse fraude électorale de l’Occident, dépassant même dans son ampleur la fraude réelle en Russie – où là aussi 35% des suffrages se transforment en 60% des sièges.

L’enjeu est l’émiettement politique, et l’effet délétère des gouvernements „ni de droite, ni de gauche“ pour la vitalité démocratique. De lors qu’un parti refuse d’assumer le rapport de force, dès lors que l’on joue des „triangulations“ pour aller chercher la sociologie électorale de l’adversaire politique plutôt que de représenter les classes historiques de son engagement, la démocratie s’étiole, l’émiettement devient communautaire, clanique, clienteliste, corrupteur, et le débat s’amoindrit.
Toutes les démocraties occidentales connaissent ce phénomène depuis le ralliement des „progressistes“ à la vulgate économique des libéraux, et la conversion libérale des conservateurs, ouvrant de nouveau le front droit à des forces réactionnaires.
Le „centre“, qu’on appelait à l’époque de notre première république „le marais“, est utile lorsqu’il est petit, et sers de pacification entre blocs. Il est mortel lorsque ses sables mouvants enlisent les blocs, et ses moustiques corrompus répandent la malaria de l’argent.

La démocratie meurt des „ni droite, ni gauche“, des „grandes coalitions „, et des fausses alliances „europeistes“ entre classes aux intérêts économiques contradictoires.

Le résultat des élections allemandes de ce dimanche, paradoxalement, pourrait reconstituer cependant une logique de blocs.
Les libéraux rejettent l’idée d’un chancelier social-démocrate, et si les résultats sont conformes aux sondages, le SPD devra chercher le soutien même sans participation au gouvernement des Linke.
Ce serait paradoxal, mais cela démontrerait au moins que le mode de scrutin n’est pas tout. Les volontés politiques et leurs mises en action comptent plus que les systèmes.

Rapporté à la situation française, je n’en démords pas : plutôt que de faire croire qu’elle peut gagner la présidentielle, la gauche devrait s’occuper de reconquérir d’abord une présence territoriale à la législative. Il serait temps que 35% des suffrages au premier tour cessent de produire des majorités pléthoriques. Le seul régime équilibré possible avec la cinquième république est celui de la cohabitation.

Post Scriptum : les binationaux pourront à Berlin voter quatre fois : législative, Assemblée régionale qui désignera ensuite le maire „gouvernant“ de Berlin, référendum sur la nationalisation des logements actuellement tenus par des fonds de pension américains, et enfin mairie d’arrondissements.

Les français de Berlin sans double nationalité pourrons voter seulement aux mairies d’arrondissement! Il n’y aura donc qu’une seule croix à donner.

Bon vote dimanche donc à toutes et tous !