Victoire du SPD, effondrement de la droite, mais un Bundestag qui poursuit sa weimarisation

Resultat de l’élection législative allemande d’après la direction des élections au ministère de l’intérieur en sieges:


Record absolu du nombre de sièges avec 735 deputes, soit 31 de plus qu’en 2017, et majorité absolue nécessaire de 368.
Les Linke, comme la CSU, sont à moins de la limite de 5% pour entrer au Bundestag mais réussissent tous les deux à remporter plus de 3 sièges au scrutin uninominal, ce qui leur permet d’être représentés selon leur score proportionnel.
Il n’y a pas de majorité absolue pour la gauche – 363 sièges – ni pour la droite sans l‘AfD – 288 sièges.
La droite avec l’extrême droite a une majorité parlementaire. L’enjeu de cette législature pour l’aile la plus conservatrice de la droite, qui a pourtant perdu avec Maassen, battu en Saxe, un de ses théoriciens, c’est de dediaboliser l‘AfD pour permettre la constitution d’un bloc conservateur. Cela sera difficile pour l’aile la plus européenne de la CDU, qui a perdu dans un attentat politique meurtrier de l’extrême droite un de ses élus en 2019.
Car c’est aussi un retour de Weimar : la violence meurtrière politique.

Le SSW est le parti de la minorité danoise, qui, protégée par un statut spécial, retrouve le Bundestag pour la première fois en 60 ans.
Ainsi, avec lui, le Bundestag comptera 8 partis représentés, record absolu de la république fédérale, il faut remonter à … Weimar pour retrouver autant de partis au Bundestag.
L’émiettement se poursuit, aucun parti ne dépasse les 30% pour la première fois également depuis … la république de Weimar. C’est ce que je décris depuis plus de 7 ans comme la weimarisation de la vie politique ouest-allemande.

SPD 206
CDU/CSU 196 (CDU 151, CSU 45)
GRÜNE 118
FDP 92
AfD 83
LINKE 39
SSW 1

Notons que symboliquement, le rejet de la droite est marqué par la circonscription d‘Angela Merkel, qu’elle avait remportée huit fois d’affilée directement, au scrutin uninominal.
Hier soir, c’est une candidate SPD qui a remportée ce scrutin.

Merkel laisse donc derrière elle un paysage politique en ruines, un Bundestag sans majorité claire, et son parti la CDU avec le pire résultat de son histoire.

Le SPD, dans une campagne marquée par les gaffes de ses adversaires, avec un programme beaucoup plus à gauche qu’en 2017, l’emporte et retrouvé son score de 2013, mais réalise quand même le quatrième plus mauvais score de son histoire.
La chancellerie n’est pas gagnée pour autant. La reconquête cependant d’un électorat venu des Linke avec un programme très matérialiste, concentré sur les salaires, le pouvoir d’achat, la réduction du coût du logement, et de certaines régions tentées par l’extrême droite, montre une voie qu’il faudra confirmer au pouvoir. Il ne faudrait pas faire du molletisme allemand.

Les verts finissent loin, alors que comme en 2011, ils semblaient avoir la possibilité de s’emparer du pouvoir. Leur choix en cohérence interne de la plus inconnue de leurs dirigeants comme tête de liste leur a fait perdre leur position de leader. Ils ont sous estimés l’importance d’avoir désamorcé par la présence médiatique antérieure des polémiques destructrices de confiance, et surestimés l’importance des effets d’affichage politiquement corrects. Les Verts ont convaincu les classes bourgeoises citadines, et font le meilleur score de leur histoire, mais 10 points en dessous de leurs sondages il y a six mois.

Les Linke avaient également choisi la cohérence interne plutôt que la synthèse entre ses deux pôles idéologiques. En éliminant la tendance marxienne, ou matérialiste, incarnée par Sahra Wagenknecht, en laissant démissionner des personnalités reconnues par les autres partis comme Fabio de Masi, en intriguant contre le projet Aufstehen, qui intéressait 36% des allemands en 2018 et pouvait créer un mouvement populaire sur le modèle de la campagne Sanders de 2016, les Linke ont perdu les classes populaires de l‘Est sans convaincre les classes urbaines citadines. Les premières se sont reportées au SPD, les secondes sur les Verts. Les Linke perdent 4 points !

C’est le FDP qui se retrouve faiseur de rois ce soir. Et ils peuvent remercier les Linke comme les Verts pour cela. Il aurait suffi de 2% de plus aux Linke pour qu’une coalition de gauche ait la majorité.
Le FDP incarne la résistance des classes bourgeoises à toute remise en cause de leur partage des richesses, du pouvoir, des gratifications symboliques, tout en surfant sur une petite musique anti-vaccin et anti-pass sanitaire, anti-Etat, et peu favorable à l’intégration européenne. Ces libéraux là ne sont pas macronistes.
Le FDP rêve d’une alliance bourgeoise avec la droite et les verts.

L’extrême droite AfD n’a pas autant profité de son rejet des politiques anti-Covid que ce qu’il espérait. Incapable de faire monter le sujet de l’immigration sur le devant de la scène, il n’en fut pas question dans cette campagne, de plus en plus droitisé avec d’anciens néonazis montant dans les cadres, l‘AfD se tasse et perds 2 points par rapport à 2017.
Cependant, et ceci est inquietant : l‘AfD dispose maintenant d’un socle constant et solide de 10% des allemands.
Les expériences précédentes de populisme allemand avaient été de courte durée : le parti Republikaner d’extrême droite dans les années 80 avait disparu en 10 ans, les succès électoraux du parti néonazi NPD n’avaient pas eu de confirmation au début des années 2000 et les pirates, parti populiste entre gauche et droite, n’avaient aussi duré qu’une saison entre 2009 et 2013.
l‘AfD a réussi à refaire surgir une extrême droite pérenne au Reichstag, et cela, c’est le signe de la Weimarisation : jamais, depuis 1949, la République ouest-allemande n’avait connue un tel phénomène, alors qu’il est consubstantiel à l’émiettement de la vie politique sous Weimar, avec deux autres composantes : la répétition de grande coalition gauche-droite, et les elections à répétition. En dehors de 2005, où Schröder força la dissolution du Bundestag et une élection anticipée, c’est la dernière composante qui manque pour retrouver la même dynamique parlementaire que sous Weimar.

Pour renforcer la pertinence de ce concept de weimarisation, je rappellerai ceci : sous Weimar, l’émiettement des voix fit survivre des multitudes de partis microscopiques, qui, en l’absence de barrière à 5%, obtenaient des sièges avec 1%.
Malgré la barrière des 5%, pas moins d’un votant sur 12 a choisi l’un de ces petits partis, 8,3% des suffrage ne sont pas représentés au Bundestag en se portant en connaissance de cause sur des partis n’ayant aucune chance d’être représenté. Cela démontre une perte de confiance dans le parlementarisme allemand beaucoup plus profonde encore que le vote AfD ou l’abstention (24% hier, comparable aux scrutins précédents à un niveau relativement élevé).
Tous ces micropartis cependant réussissent à capter du financement public. Ils vont survivre encore 4 ans.

Angela Merkel est toujours chancelière ce matin. Tant que les futurs partis coalisés n’ont pas signé leur contrat de coalition, véritable programme de gouvernement détaillé, la synthèse nécessaire en Allemagne ne se faisant pas sur les postes, mais sur les politiques à mener, c’est le gouvernement sortant qui expédie les affaires courantes.
Hier soir, les caricaturistes imaginaient déjà Merkel tenir le discours du nouvel an 2022 en chancelière provisoire…

En photo les coalitions possibles (Source Spiegel d’après la direction des élections)